Textes de Référence
Le texte suivant, que j'ai publié dans les Cahiers des Gens d'images
et récrit à partir d'une intervention aux Compagnons de Lure en 1998
et qui se trouve sur leur site peut constituer une base de départ pour une
exploration de la propagande politique
Une danseuse...
La publicité politique est un sujet sur lequel je travaille depuis plus de
20 ans puisque mon premier ouvrage sur le sujet est de 1975 et que j'ai été
commissaire de l'exposition sur l'imagerie politique en 1977 au Centre Georges Pompidou
pour son ouverture. C'est en quelque sorte ma danseuse, qui comme toutes les danseuses
coûte cher et ne rapporte que des ennuis mais vous en fait voir de toutes les
couleurs. J'ai eu l'occasion d'en présenter quelques aperçus à
Lure en 1978 sur le légendaire politique et en 1988 sur le clip politique.
Dix ans après mon ambition est tout aussi limitée compte tenu de l'étendue
du domaine.
Je me propose d'essayer de situer la publicité politique dans la problématique
de la promotion par rapport notamment à la publicité commerciale, de
la situer également dans l'histoire de la promotion par rapport notamment
à la propagande et à la communication politique, enfin de m'interroger
sur l'évolution actuelle de cette publicité politique et sur le passage
d'une éthique de la communication politique à une technique de la transaction
politique.
Je proposerai en fin de parcours quelques arrêts sur images sur des exemples
de publicité politique. Vous devrez donc subir le cours avant de pouvoir bénéficier
de la récréation.
1 Situer la publicité politique dans l'univers de la promotion
Je voudrais commencer par vous lire un petit texte.
"On ne sert pas en même temps ces deux maîtresses exigeantes que
sont la publicité et la politique. Tout sépare ces soeurs ennemies.
L'une est passion et rêve, l'autre froideur et réalité. L'une
est optimisme et spontanéité, l'autre méfiance et calcul. L'une
est séduction et dérision, l'autre pression et possession. A voler
de l'une à l'autre, je ne pouvais que me brûler les ailes"
On aura reconnu dans cet extrait de Fils de pub paru en 1984 chez Flammarion la prose
de Jacques Séguéla qui sait de quoi il parle puisqu'il a fait la campagne
du RPR "Oui à la France qui gagne" en 1976, la campagne du PR "la
majorité aura la majorité" en 1977, la campagne Mitterrand "le
socialisme une idée qui fait son chemin" en 1978, la campagne présidentielle
de Mitterrand "l'autre chemin/ la force tranquille/ d'abord l'emploi" en
1981, avant d'exporter son savoir faire en Bulgarie, en Tchécoslovaquie et
si j'en crois le camarade Cayatte jusque chez Boris Eltsine.
Il est vrai que l'alliance de mots "publicité politique" souffre
de deux ambiguités majeures, celles attachées à chacun de ses
termes.
ambiguité du politique
Politique c'est ici un adjectif qui a donc deux géniteurs : le géniteur
mâle noble , le politique, lieu de l'action et des rapports de pouvoir, cercle
dont le centre est partout et la circonférence nulle part ("tout relève
du politique") et un géniteur femelle domestique, la politique, une souillarde
qui vit en cuisine, lieu de la pratique de la parole et de la représentation
symbolique ("tout ça c'est de la politique"). Cette ambiguité
que Braud ou Edelman ont bien soulignée est une des difficultés à
baliser le domaine d'une science politique privée de son soleil, la notion
d'Etat autour duquel tout hier rayonnait et explosée aujourd'hui en milliers
de constellations dont il est difficile de tenir la cartographie.
ambiguité de la publicité
Le terme publicité n'est pas moins ambigu. Publicité vient du latin
publicare qui veut dire confisquer au profit de l'état mais aussi faire connaître
à tous, d'où le mot publication. La publicité est donc l'état
de ce qui est public, mais c'est aussi un terme d'action qui renvoie à une
série de moyens utilisés pour la promotion et qui en tant que tel prend
donc place à côté de ses confrères et consoeurs: la propagande
politique, le marketing politique, la communication politique.
Comment situer dans cet univers la publicité politique?
Une première approche consiste à spécifier chacune des formes
de la promotion par leur objet. On a longtemps soutenu que la propagande c'était
la promotion de l'idée, que la publicité c'était la promotion
de l'objet et que le star-system c'était la promotion de la personne. Aujourd'hui
cette trinité a fait place à l'oecuménisme le plus complet.
En politique on fait la promotion aussi bien d'une formation que de ses valeurs,
de son chef et des signes de reconnaissance ou d'allégeance qui marquent sa
distinction. Il n'y a pas un stand de la publicité politique mais une véritable
foire aux images.
Une seconde approche consiste à opposer une publicité qui serait prescriptive
parce qu'elle tolère la concurrence et qu'elle en vit et une propagande qui
serait proscriptive parce qu'elle exclut la concurrence et qu'elle en meurt. C'est
la thèse d' un spécialiste que Gérard Blanchard appréciait
beaucoup, Georges Peninou, qui a été notamment directeur de l'agence
Intelligences et directeur de recherches chez Publicis. Mais cette opposition entre
une propagande hard et une publicité soft ne paraît plus convenir à
une époque où la publicité comparative rend la publicité
parfois hard et où la politique joue d'avantage sur la séduction que
sur la dénonciation et utilise toutes les ressources du langage soft.
Enfin on a cru pouvoir avancer que la publicité politique n'est qu'une des
branches de la publicité commerciale, qu'on peut donc lui appliquer les mêmes
règles sémantiques et lexicales. C'est tout le propos du marketing
politique qui dans les années 60 annonçait qu'on vend un président
comme une savonnette mais qui me parait mis en cause par l'analyse de l'échange
politique qui est d'un ordre radicalement différent de l'échange commercial.
des outils d'analyse appropriés
Le degré minimum de l'échange commercial c'est l'acquisition d'un produit;
on l'achète où l'on veut, quand on le veut, on peut l'acheter en même
temps que ses concurrents ou ne pas l'acheter du tout, on paie l'échange,
on emporte le produit dont on est propriétaire, on l'utilise et s'il ne vous
convient pas on peut le rapporter à la caisse et se faire rembourser.
Aucun de ces paramètres ne s'applique au degré minimum de l'échange
politique qui est le vote , qui ne se fait ni où l'on veut, ni quand on veut,
et qui exclut le cumul . On ne paie pas ou en tout cas pas directement. On n'a rien
non plus en retour sinon des promesses et on ne peut rapporter le candidat là
où on l'a pris pour en faire l'échange s'il ne vous convient pas.
Il faut donc à un langage spécifique comme celui de l'échange
politique des outils d'analyse spécifique, indépendants de ceux utilisés
pour l'analyse de l'échange publicitaire. Aussi les chercheurs ont progressivement
mis au point
une grammaire de l'échange politique autour des trois grands protagonistes
de l'échange politique
un lexique du légendaire politique articulé autour des métaphores
cardinales du langage politique
une syntaxe de l'image politique animée organisée autour des grandes
trajectoires que sont la conquête du pouvoir avec la mise sur orbite des différents
étages successifs de la fusée présidentielle, la gestion de
l'image du pouvoir avec le passage de l'état de grâce à l'état
de fait puis à l'état d'urgence, et la construction de la stratégie
télécratique des formations ou de leurs chefs
2 Situer la publicité politique dans l'histoire de la promotion politique
Après avoir situé la publicité politique dans le champ de la
problématique de la promotion je voudrais maintenant la resituer dans l'histoire
de la promotion politique et je voudrais d'abord rendre un hommage appuyé
au fondateur de la publicité politique qui n'est ni Goebbels, ni Machiavel,
ni Gengis Khan, ni l'Eglise qui sait mieux faire son service après vente que
sa campagne de lancement mais le serpent de la Bible.
C'est le serpent qui a commencé
Je reprends les faits. Le serpent présente la pomme à Eve. Il crée
la stratégie du désir. Il invente la publicité. Mais il convainc
ensuite Eve de faire adopter la pomme par Adam. Il transforme donc sa client en leader
d'opinion. il invente la propagande.
Après il y a un temps assez long puisqu'il faut attendre la campagne présidentielle
de Jacques Chirac en 1995 pour que la pomme redevienne la métaphore politique
par excellence.
Entre le serpent et Chirac il y a une une histoire de la promotion politique à
reconstituer qui emprunte deux stratégies successives très différentes
et que je schématise brièvement.
L'histoire de la propagande politique fonctionne selon un système militaire
de coordonnées. L'axe vertical est un axe descendant de conformation où
la sujet doit faire ce que demande le chef. L'axe horizontal est un système
d'occupation du terrain physique aussi bien qu'intellectuel. Il s'agit en définitive
de s'approprier le maximum d'espace pour obtenir l'effet optimum sur le plus grand
nombre de personnes.
L'histoire de la communication politique fonctionne selon un système à
double flux entre des émetteurs et des récepteurs irrigués par
une cotation permanente des valeurs et des personnes et suppose un feed-back de l'opinion
publique. Ce feed-back est mis en scène et parfois confisqué par tous
les intermédiaires entre les professionnels de la politique et les citoyens:
les conseils en communication chargés de la mise en scène des actes
ou des évènements, les médiateurs qui contrôlent la résonance
de ces échanges, les associations ou les formations politiques qui favorisent
la coagulation et l'expression des opinions qui se manifestent.
Ces deux systèmes ne se sont pas substitués l'un à l'autre.
A l'époque d'Internet, on continue à tenir des réunions dans
les préaux, à distribuer des tracts et à tagger des murs ce
qui rend complexe une communication politique qui s'est établie par strates
successives. Sans rentrer dans l'analyse de chacun de ces deux systèmes que
j'ai largement développée par ailleurs, je voudrais en rappeler les
grandes étapes.
l'histoire de la propagande politique
On sépare traditionnellement la propagande politique en quatre temps
. l'âge de l'édification au double sens architectural et moral du terme
(instruire par l'exemple et construire). C'est le temps des pyramides, des arcs de
triomphe, des défilés et Ladislas Mandel a montré par exemple
que chez les Romains l'écriture lapidaire est au service de la puissance.
L'inscription fait corps avec le monument et, même si elle n'est pas lue, elle
témoigne de la présence et du pouvoir des vainqueurs. Ce n'est que
l'aspect le plus visible de la propagande car il existe à côté
d'elle une société du spectacle (jeux, grands travaux...) et une société
de l'information (album, graffiti, discours)
. l'âge de la propagation il s'agit dans cette perspective de faire circuler
un message pour qu'il touche le maximum de personnes et qu'il les mette en condition.
C'est le propos des grands systèmes politiques du Moyen Age, la croisade et
l'inquisition. C'est d'ailleurs à cette époque que le mot propagande
- qui vient du latin propagare qui signifie reproduire par provignement et n'a pas
chez les latins de signification politique mais s'emploie dans le jardinage pour
le marcottage et les stolons des fraisiers- prend une acception politique. Propaganda:
adjectif verbal féminin: qui doit être propagé.
Evidemment c'est le développement des techniques de l'imprimé qui va
favoriser la propagation. Il y a des affiches manuscrites depuis le début
du XVe siècle puisque Charles VIII les fait interdire en 1407. La propagande
par l'image se développe au temps de la réforme. Luther qui professe
que l'image est le livre de ceux qui ne savent pas lire l'utilise très largement
dans ses libelles comme celui qui s'intitule "contre la papauté romaine
fondée par le diable avec 10 images de Lucas Cranach et 10 textes de Martin
Luther". L'affaire des placards (première opération organisée
d'affichage sauvage en octobre 1534) entraîne l'édit du 13 novembre
1539 de François Premier et une séparation entre un pouvoir qui construit
une imagerie pléthorique depuis les médaillons jusqu'aux fêtes
royales, et des opposants qui répliquent par des libelles, des chansons ou
des écrits importés.
Là encore le tableau est composite. Il y a des images séditieuses socialement
mais politiquement correctes (le Monde à l'envers) et malgré les réglementations
de l'affichage sauvage, il y a des placards que le pouvoir tolère comme celui
de 1762 sur l'expulsion des Jésuites.
L'âge de la persuasion. Dans cette période se forme progressivement
une opinion publique qui apparaîtra comme décisive à la Révolution
Française comme le montre l'ouvrage que Thierry Gouttenègre nous a
présenté sur les affiches de la révolution. Une des affiches
porte l'inscription "passant arrête et lis! "; c'est bien un appel
à l'opinion publique qu'on veut mobiliser et le passage progressif de l'âge
de la propagation à l'âge de la persuasion. Puisque c'est le peuple
ou une partie de ce peuple qui influe sur la décision, il ne suffit pas de
lui faire connaître l'information, il faut le persuader qu'il est de son intérêt
et de l'intérêt général de voter, de se rassembler, de
se mobiliser, d'acheter, de manifester; la multiplicité des énonciateurs
organise et développe le marché de la persuasion.
Pour cela , il y a l'image sous la forme de la caricature, de l'affiche, de l'imagerie
d'Epinal; il y a surtout le discours et l'écrit. Un des paradoxes de la fin
du XIXe siècle et du début XXe sera qu'alors que la publicité
commerciale affiche ses produits, l'affiche politique reste très pauvre dans
sa représentation, très textuelle et que les artistes qui s'engagent
dans ce domaine sont très rares (Steinlen, Grandjouan).
En fait ce ne sont pas les images physiques qui réveillent l'imaginaire mais
les institutions: l'Armée qui apporte la victoire et garantit l'ordre public,
l'Ecole qui donne le progrès et la prospérité, la République
qui proclame l'égalité et assure le bonheur, la Patrie qui réconcilie
les Français avec l'histoire et la colonisation qui exporte notre "idéal"
chez les peuples qui ont tout à apprendre. De ce point de vue l'imagerie des
manuels scolaires ou des livres de lecture comme le Tour de France de deux enfants
s'inscrit dans une perspective hagiographique qui déborde le domaine de la
persuasion pour s'élargir à la défense des valeurs d'une civilisation.
Le 4e âge de la propagande est celui de la grande diffusion. C'est celui de
la guerre de 14-18, l'occupation physique ou idéologique du terrain par tous
les supports disponibles: presse, radio, journaux, tracts, affiches, cinéma,
et la mise en condition de toutes les cibles: le combattant qu'on galvanise, les
civils qui vont donner leur or ou leurs bras, les familles et même les enfants.
Yves Rifaux l'a montré dans l'exposition qu'il a consacrée à
la petite imagerie de la grande guerre. Juste un exemple qui montrera à quel
point cette propagande est devenue une industrie. En Grande-Bretagne en 1918 l'office
de propagande de Lord Northcliffe emploie 485 personnes.
Le triomphe de ces industries de la propagande c'est la propagande soviétique,
fasciste ou nazie. Le système atteindra son apothéose technologique
lors de la seconde guerre mondiale qui constitue aussi une fin de parcours politique.
Fin de parcours pour l'Allemagne car le nazisme qui avait fait de la propagande un
système de gouvernement a trouvé ses limites: la propagande ne peut
tout faire ni tout faire faire. Fin de parcours pour le Japon où la mise en
condition des écoliers, les affiches et les communiqués sur l'invincibilité
du pays perdront toute crédibilité devant la bombe d'Hiroshima. Fin
de parcours pour l'Union Soviétique obligée de faire appel aux valeurs
nationales plus efficaces que l'internationalisme, et à la photodémonstration
plus qu'au graphisme significatif. Fin de parcours pour les démocraties occidentales
obligées de trouver de nouvelles règles du jeu.
Et il n'est pas innocent que ce soit Tchakhotine, le principal théoricien
de la propagande, l'auteur du viol des foules par la propagande politique qui prédise
le succès de la méthode des sondages qui vont, dit-il, "transformer
la démagogie de la propagande en psychagogie des masses populaires".
Cartographie de la communication politique
Aujourd'hui la communication politique est trop récente pour qu'on puisse
en écrire l'histoire mais on peut en dégager plusieurs constantes.
La première est la professionnalisation de la communication politique. La
communication publicitaire a ses organismes de décision (le CNP) , ses structures
de régulation (le BVP), ses organismes de défense (l'AACC) ses organismes
de recherche (l'IREP) ses publications spécialisées (Stratégies,
CB News), ses filières universitaires et même ses imprécateurs
comme l'ami François Brune. Au contraire la communication politique vit en
pleine anarchie et longtemps ce sont des individualités qui ont travaillé
pour la communication politique : Séguéla, Crespi, Audour, Saussez.
Un seul chiffre: il y a 200 professionnels de la communication politique en France.
Aux Etats-Unis, on recense 3000 cabinets et 7000 consultants individuels.
En France les professionnels de la communication se méfient de la politique
parce qu'ils n'ont pas les coudées franches; les professionnels de la politique
se méfient des communicateurs qu'ils réduisent au rôle de techniciens.
Chirac a ainsi trois fois changé de conseils dans sa campagne présidentielle
de 81. Pourtant les temps changent. Les filières de formation initiale et
continue se développent, les guides et les bréviaires se multiplient
et il y a surtout une transformation du métier politique.
La personnalisation de la vie politique, la professionnalisation des formations ont
donné naissance à une nouvelle race de dirigeants. Ce n'est plus le
meneur d'hommes qu'on admire mais le patron d'une équipe qui comporte des
militants, des conseillers et des techniciens, qui a un objectif (le pouvoir) et
des concurrents. La tâche de cette équipe va être de mobiliser
ses ressources financières et humaines et ses réseaux et de construire
via les medias une représentation positive de son leader, de son programme
et de son style. L'objectif est de faire gagner à son leader des points sur
ses rivaux pour franchir un seuil où il va passer de la représentativité
à la crédibilité.
Le second phénomène est la régression du militantisme politique.
J'ai rencontré tous les responsables de communication des partis politiques
du PC au FN et tous admettent avec plus ou moins de réserves une crise du
militantisme. Alors pour compenser ces pertes, on salarie des permanents, on déniche
des emplois fictifs ou on défraie des bénévoles. Cette régression
est à la fois liée à la montée du marketing politique
(quand on peut payer un affichage de 4m sur 3, pourquoi coller des 40x 60! ), à
la retombée des grandes utopies politiques (le grand soir n'est plus pour
demain matin) et tout simplement à la crise.
Il ne faut d'ailleurs pas croire que cela touche uniquement les formations institutionnelles.
Les associations ont aussi leurs permanents salariés sur les fonds d'état
même si elles sont capables de mobiliser autour d'elles pour des grandes causes.
Le troisième phénomène c'est l'effacement progressif des supports
images fixe au profit de la télévision considérée comme
le support de référence. L'élection présidentielle de
74 pouvait être associée au visage de la fille de Giscard, celle de
81 au petit village de la force tranquille. Il est déjà plus difficile
de trouver une symbolique image à la campagne de 88 et en 95 les pommes de
Chirac ont été moins connues par les affiches que par la résonance
que les Guignols lui ont donnée.
Il y a de fait l'impact de la loi de 90 qui réglemente l'espace et la teneur
des messages, il y a surtout la diversification des formules de publicité
politique offertes par la télévision à la recherche d'une audience.
En 1965, on ne disposait que d'une procédure à une voix (le monologue)
ou à deux voix (l'interview). C'était De Gaulle par de Gaulle ou De
Gaulle par Michel Droit. Depuis sont apparus de nouveaux dispositifs: le face-à-face
avec ou sans arbitres, le face à la presse (type Heure de vérité)
, le face au public avec un panel de spectateurs rassemblés, le face à
la nation avec un panel de spectateurs disséminés, le face à
l'actualité avec une série de documents, la table ronde avec un médiateur-animateur-gestionnaire
de conflits, le forum avec participation du public et le show comme Mitterrand-Mourouzi
en 85 ou Chirac-TF1 en 96. Tous ces dispositifs peuvent aussi se combiner comme dans
Public ou 7 sur 7.
De plus la télévision a renouvelé son offre de produits: avant
il y avait le reportage de complaisance; aujourd'hui il y a les clips politiques
qui ont fait leur entrée fracassante en 88 comme le clip Mitterrand des 500
images en 80 secondes, les spots qui sont interdits en tant que tels mais utilisés
par les formations politiques dans leurs émissions électorales, les
émissions d'éducation sémiologique de type Arrêts sur
images ou les émissions d'éducation politique quand on veut démonter
un processus type Le Pen dans le Texte ou Bienvenue à Vitrolles, enfin les
fims de propagande comme le 47, 3 de Moati pour le PS diffusé par Arte, sans
oublier Culture Pub qui donne une ouverture sur la communication politique internationale.
Cette théâtralisation de la vie politique par la télévision
modifie le rapport entre le pays et le pouvoir. Plus généralement les
medias technologiques jouent le rôle qui était dévolu aux assemblées
d'élus. Les décisions sont annoncées au 20 heures, les députés
découvrent dans la presse les dossiers à traiter, les justiciables
apprennent par les magazines le contenu des écoutes téléphoniques
sur leurs affaires.
Ceux qui veulent se faire entendre créent l'évènement et mettent
en place une stratégie médiatique pour le couvrir. Les chômeurs,
les sans-papiers ont aujourd'hui leur agence de communication et même les casseurs
sélectionnent leurs journalistes accrédités. Plus généralement
la communication politique est dominée par une stratégie télécratique
avec trois moments cardinaux, la conquête du pouvoir, la gestion du pouvoir,
le changement ou le renouvellement du bail.
Le quatrième c'est l'irrésistible montée des sondages. La France
est championne du monde des sondages: 1 par jour en période torride, 2 par
semaine en période chaude, 3 par mois en période froide. Je ne parle
que des sondages publiés. La législation de 77 qui visait à
interdire la publication des sondages pendant les derniers jours de campagne est
naturellement obsolète depuis qu'ils se trouvent sur Internet et les journaux
(la République des Pyrénées, le Journal du Dimanche) n'ont pas
hésité en 1997 à braver les lois.
La sondomanie correspond au goût du public pour la compétition et la
mathématisation des énoncés (Loto, Tiercé) et elle s'accomode
bien au système électoral français qui est moins un système
de représentation qui traduit la répartition des électorats
entre pouvoir et opposition, qu'un système de désignation qui vise
à constituer une majorité. Par ailleurs les medias qui les commanditent
et les firmes qui les produisent se font la courte échelle. Ce sont les mêmes
qui sont à la fois les salariés des organismes de sondages dont ils
sont la caution scientifique et les exégètes des résultats dans
les diverses chaînes. Qui entend-on pour commenter l'actualité politique?
Jérôme Jaffré c'est la SOFRES, Jean-Luc Parodi c'est l'IFOP,
Roland Cayrol c'est l'institut CSA.
On a beaucoup disserté sur les sondages, leur indépendance, leur fiabilité.
Mais ce qui est le plus important, c'est la modélisation et la surchauffe
de l'opinion publique qu'ils induisent. Modélisation parce que la question
détermine le mode de réponse et que celles-ci répercutées
par les media cristallisent les opinions. Surchauffe parce qu'un sondage fait à
froid est inopérant par rapport à une décision qui sera prise
à chaud. On suppute déjà les chances respectives de Chirac et
de Jospin aux présidentielles de 2002 alors que tous les deux n'ont pas annoncé
leurs candidatures, qu'ils sont tous les deux impliqués en partie dans des
affaires d'emplois fictifs dont on ne sait pas si elles vont exploser ou se consumer,
et que des tas d'autres prétendants peuvent s'affirmer en 3 ans.
Mais à force d'agiter le thermomètre des sondages on donne la fièvre
à l'opinion et on fébrilise la vie politique, comme si chaque équipe
disposait d'un patron inusable qui aurait réponse à tout et entretiendrait
sa forme à coup de performances sportives et culturelles.
3 L'avenir de la publicité politique
Du marketing de l'offre au marketing de la demande
La conséquence de cette surchauffe de l'opinion c'est le passage du marketing
de l'offre (voilà qui je suis) au marketing de la demande (c'est moi qui peux
le mieux répondre à vos attentes). Autrement dit, le candidat ne va
pas être élu sur un programme qu'il va appliquer par la suite. Il se
construit une image de marque qui lui garantit son élection et c'est ensuite
qu'il va tenter d'appliquer son programme.
Nous sommes dans un système d'actionnariat politique que je développe
par ailleurs et qui se mesure par des votes et des intentions. Cette élection
va se faire sur des promesses qui constituent le capital du candidat. Mais ce capital,
il va devoir l'engager. Pour cela, il peut choisir de satisfaire des actionnaires
en prenant une partie des mesures correspondant au souhait de ceux qui l'ont élu
(c'est une politique de dividendes) ou conquérir de nouveaux marchés
en séduisant ceux qui ont apporté leurs voix à des concurrents
(c'est une politique d'investissements).
On comprend pourquoi il est difficile de prendre des mesures impopulaires qui se
traduisent par une érosion de la cote immédiatement amplifiée
par les medias et qui alarme les conseils en communication attentifs à toutes
les variations de la cote. Ainsi la communication politique se cale de plus en plus
sur un modèle d'actionnariat politique fondé sur la gestion du portefeuille
de l'opinion publique et sur une éthique de la transaction.
une crise de la publicité politique?
C'est ce qui explique aujourd'hui le tournant et peut-être même la crise
que vit la publicité politique; Je m'en tiendrai ici à quelques questions
pour alimenter le débat.
. Les échecs de la communication politique: la dissolution manquée
de Chirac, la mauvaise gestion du dossier immigration, le dérapage verbal
de Jospin à l'Assemblée Nationale qui l'a obligé à présenter
des excuses, l'inefficacité du lynchage médiatique du Front National,
les affaires de toutes sortes remettent en cause l'efficacité de la communication
politique. Si la communication politique est une science, pourquoi tant d'approximations
et si c'est un art pourquoi tant de coups de caifs sur le tableau?
. L'apparition de nouveaux medias: les videos diffusées par les associations
et les formations politiques pour leurs militants, les CD-Rom produits par les grandes
firmes et les partis politiques, la diffusion par satellites qui permet de relayer
les meetings sur des dizaines de villes et qui offre maintenant des voies de retour,
les numéros verts, le Minitel et surtout Internet.
La plupart des partis politiques sont aujourd'hui connectés à Internet
et annoncent entre plusieurs dizaines et quelques milliers de contacts par jour.
Mais il y aussi les forums et les groupes de diffusion ( on a recensé 200
sites néo-nazis fin 96) qui sont peut-être une revanche des militants
sur le marketing.
. L'accès à la documentation. Aujourd'hui la documentation politique
est disséminée dans de très nombreux sites dont certains sont
loin d'avoir fait leur répertoire et entre lesquels les contacts sont sommaires
même si un réseau Reaga consacré au développement et à
la diffusion du graphisme d'auteur vient de se mettre en place entre Mons, La Louvière,
Essen, Amsterdam et Chaumont. On peut espérer que l'informatisation et la
numérisation de la documentation en ce qui concerne l'image fixe et l'image
animée mettra au jour des trésors et favorisera des pratiques moins
exclusives.
. L'Education à la politique. Elle fait lentement son chemin notamment dans
les jeunes générations même si on peut regretter qu'elle se traduise
parfois par des pratiques violentes. Elle est aidée par la distanciation liée
au Bébête Show, aux Guignols et à Arrêt sur Images. et
par la publication d'ouvrages, de revues, de valises audiovisuelles. Il faudra voir
également l'impact de la future chaîne d'instruction civique, Canal
Assemblée.
Ceci reste à l'état de questions et pour vous permettre de méditer
sur les réponses, je vous propose quelques arrêts sur images significatifs
de l'évolution et des méthodes de la publicité politique.